Aujourd’hui, toujours dans l’intérêt de faire découvrir des auteurs de recueils de nouvelles fantastiques et/ou horrifiques pour Halloween, nous allons faire un tour du côté de la Belgique pour parler d’un auteur que j’ai découvert à la fac, pendant la préparation de mon mémoire de recherche : Jean Ray.
De son vrai nom, Raymond Jean Marie De Kremer, né en 1887 et mort en 1964 dans la ville de Gand, Jean Ray (ou John Flanders pour les Néerlandais) est un écrivain qui a principalement officié dans le fantastique, mais également dans la littérature jeunesse. Il a été aussi l’ami d’Henri Vernes, l’auteur de Bob Morane, avec qui il a beaucoup collaboré.
Usant de beaucoup de pseudonymes, il est encore aujourd’hui difficile de dresser une liste exhaustive des œuvres de Jean Ray, que les spécialistes estiment à plus de neuf mille contes, sans parler des chroniques, critiques et autres textes.
Auteur de quelques romans, dont le premier et plus connu est Malpertuis, paru en 1943, Jean Ray est surtout connu pour ses nouvelles fantastiques, dont le premier recueil, Les contes du Whisky, sortira en 1925. Extrêmement prolifique dans les années 30 et 40, la plupart de ses recueils les plus connus seront publiés durant cette période, notamment Le Grand Nocturne, Les Cercles de l’épouvante, les Derniers contes de Canterburry, et le Livre des fantômes.
Au vu de ces titres, il est facile de deviner le penchant fantasmagorique de Jean Ray. Beaucoup de ses textes mettent en scène des fantômes, des revenants qui hantent lieux et protagonistes.
« Comme minuit sonnait, un fantôme entra dans ma chambre. Je tournais le dos à la porte, ma lampe charbonnait et, seule, ma bouteille de whisky était lumineuse, riche, pure et accueillante, dans ce nid à cafards. Mais mon cœur sentait l’hôte des ténèbres. »
Jean Ray – Les contes du Whisky
Outre les spectres de défunts, il y a aussi celles de figures mythologiques, toujours présentes dans notre monde sous diverses formes, plus humaines, dépouillées de leur immortalité, et l’on peut y retrouver d’indicibles tournures lovecraftiennes (à noter que les deux hommes étaient de la même époque et avaient des références similaires. Cependant Lovecraft s’avérait plus scientifique là où Jean Ray était plus spirituel) :
« Les dieux meurent… quelque part dans l’espace, flottent des cadavres inouïs… Quelque part dans cet espace, des agonies monstrueuses s’achèvent lentement au long des siècles et des millénaires. »
Jean Ray – Malpertuis
Ce qui m’a surtout fasciné chez Jean Ray, c’est sa faculté et son désir de perdre le lecteur. Au gré de sa narration, il est facile de s’égarer dans des dédales de visions et de situations déstabilisantes. De telle façon qu’on en vient à se demander : « mais que se passe-t-il ? Mais où va-t-on ? »
Personnellement, c’est lui qui m’a donné le goût et l’intérêt de vouloir désorienter le lecteur dans mes propres textes. C’est en puisant dans son travail que j’ai écrit certains passages de L’inspiration des best-sellers. Cette seule citation de Malpertuis reste pour moi un mot d’ordre : « Insensé celui qui somme le rêve de s’expliquer. »
Et puis, il a une poésie tout à fait macabre et délicieuse pour redéfinir les codes, les origines de références universelles. Ne serait-ce que la couleur rose :
« Le rose n’est pas une couleur, c’est le bâtard du rouge triomphant et de la lumière coupable ; né d’un inceste où l’enfer comme le ciel ont joué un rôle, il est resté la teinte de la honte […]
La connaissance d’après coup, celle qui arrive trop tard pour vous sauver, me rappela que le rose est jumelé à l’horreur.
Fleur sanglante des poumons phtisiques, mousse aux lèvres des hommes qui meurent la poitrine percée, tissus visqueux des fœtus, prunelles affreuses des albinos morbides, témoin du virus et du spirochète, compagnon des sanies et de toutes les purulences, il a fallu l’innocence et l’admiration des enfants et des jeunes filles pour l’entourer de désirs et de préférence, et cela même démontre sa malice et sa ténébreuse essence. »
Jean Ray – Les Derniers contes de Canterbury
Y’a pas à dire, ce passage déboîte !
J’espère que cela vous aura donné envie de découvrir les œuvres de Jean Ray, car s’il est une pointure du fantastique grandement lu et relu en Belgique, il l’est – étrangement – bien moins en France.