En 2012, je me suis rendu à la cinémathèque française, à Paris, pour y voir l’exposition sur Tim Burton. Outre les nombreux dessins, croquis, sculptures, accessoires de film que j’ai pu admirer, j’ai également découvert, au détour d’une boutique, un petit livre intitulé Les Enfants fichus d’un certain Edward Gorey. À peine le petit abécédaire feuilleté, je m’empressai de l’acheter, persuadé de tenir une (vieille) pépite, et je découvris ainsi cet auteur américain bien connu dans son pays, mais encore trop peu connu chez nous. D’où mon envie de vous en dire un mot aujourd’hui.
Edward Gorey est né en Février 1925 – on ne connaît pas le jour exact – et est mort le 15 Avril 2000. Originaire de Chicago, il resta six mois à The School of The Art Institute of Chicago, avant d’aller à Harvard, étudier la littérature française. Il quittera plus tard sa ville natale pour habiter à Cap Cod, où sa maison, Elephant House, a été transformé musée après sa mort.
Edward Gorey illustra des auteurs comme Charles Dickens, H.G. Wells, Bram Stoker ; il dessina des centaines de couvertures pour les éditions Doubleday, et travailla pour la Soho Review (en tant que critique de cinéma) et au New-Yorker, magazine américain, en même temps que Charles Addams, créateur de la fameuse Famille Addams. Addams et Gorey ont un style très proche, mais ce dernier est bien plus surréaliste que son confrère.
Personnage haut en couleur, Edward Gorey était toujours vêtu de manteaux en fourrure, portait une longue barbe et avait tout le temps de nombreuses bagues et colliers sur lui. Il collectionnait des peintures, des tableaux, des photographies, les croix celtes… et les casseroles Sans vraiment être un loup solitaire, il ne s’est jamais marié, et avoua une sexualité quasi-inexistante. Il vivait seul avec près de sept chats, dont les noms étaient tirés du Dit du Genji. Sa passion pour les chats se remarquera lorsqu’il illustrera l’œuvre de T.S Eliot : Old Possum’s book of Practical Cats. Il ne ratait jamais un épisode de Buffy contre les vampires et était un grand lecteur d’Agatha Christie. Francophone, il aimait beaucoup Francis Ponge, Raymond Queneau et Max Jacob.
L’univers gothique d’Edward Gorey est très influencé par l’époque victorienne. Ses œuvres sont imprégnées de l’ombre de Jack l’éventreur et des rêveries d’Alice au pays des Merveilles. Le morbide et l’humour enfantin s’entremêlent dans ses histoires et ses dessins où ses personnages sont généralement les victimes d’un destin tragique.
Bon nombre des œuvres de Gorey sont arrivées chez nous à partir des années 90. Entre autres, on peut citer : Le Grenier pentu, la Harpe sans corde sensible, La Chauve-souris dorée, la Visitation irrespectueuse, l’Aspic bleu, l’Invité douteux (publiés chez Le Promeneur entre 1993 et 1994), puis plus récemment, Les Histoires de Donald et Les Enfants fichus (chez Attila, en 2011).
Il serait trop long de vous parler de toutes ces œuvres aux textes étranges et aux sombres dessins ; je vais donc me contenter d’écrire quelques lignes sur son plus connu : Les Enfants fichus.
Comme je l’ai dit plus haut, c’est un abécédaire, lisible en cinq minutes, où un enfant meurt tragiquement à chaque lettre. Tour à tour s’enchaîne alors les vers (un par lettre) brefs et concis, accompagnés de leurs illustrations (une pour chaque aussi). Dans ces quelques pages, l’humour et le macabre sont étroitement liés, finement cousus entre eux par Edward Gorey et joliment décorés de clair-obscur. Dans beaucoup de ses œuvres, Edward Gorey en vient à tuer des enfants, sans explications précises. Beaucoup lui ont attribué à tord une haine des enfants. Or, le sens caché de tous ces infanticides est tout autre. À mon humble avis, Gorey montre que l’enfance entretient un lien surnaturelle, invisible avec la mort. La solitude, la tristesse, l’égarement des enfants que l’on retrouve dans les dessins en noir et blanc de Gorey les mènent presque inéluctablement dans les bras « maternels » de la mort. D’ailleurs, l’enfance n’est pas toute blanche, et Gorey veut montrer que l’ombre funeste plane aussi au-dessus des plus petits.
Bref, Edward Gorey a beau être un excentrique (ce qui au fond n’est pas un défaut), il n’empêche qu’il est un auteur/dessinateur des plus originaux de son temps et qu’encore aujourd’hui, il inspire bon nombre d’artistes, tel que Tim Burton. D’ailleurs, je ne sais pas si c’est avéré, mais je suis sûr que Burton s’est inspiré — voire fait hommage aux Enfants fichus de Gorey — pour son recueil de poème : La triste fin du petit enfant huître et autres histoires, où les enfants-monstres, pour la plupart, connaissent une fin tragique, parfois avec un humour noir. Coïncidence ?