Daniel Handler/Lemony Snicket –
Mis à jour : 4 janv 2019
Comme la dernière saison des Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire est arrivée cette semaine sur Netflix, je me suis dit qu’il serait intéressant d’écrire un petit mot sur les livres et leur auteur : Daniel Handler alias Lemony Snicket.
Daniel Handler est un écrivain, musicien et scénariste américain né le 28 février 1970 à San Francisco. Mieux connu sous le pseudonyme de Lemony Snicket, il est donc l’auteur des Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire (A serie of Unfortunate Events), série de treize romans racontant les péripéties de trois orphelins débrouillards. Traduite en quarante-et-une langues et vendue à plus de cinquante-cinq millions d’exemplaires, cette série est désormais reconnue comme un classique de la littérature jeunesse. Plutôt ironique quand on sait que Handler ne se destinait pas à ce genre de littérature au début de sa carrière.
En effet, il se lance dans la littérature avec un premier roman destiné aux adultes, The Basic Eight, publié en 1998. Il fut longtemps rejeté par les éditeurs — trente-sept fois selon l’auteur — qui butaient sur sa vision sombre et agressive du quotidien des adolescents. De plus, Handler se moque des écoles anglaises à l’image de celle où il fit ses études : la Lowell High Scholl de San Francisco.
Mais avant la publication de ce premier roman, Handler avait aussi écrit Watch Your Mouth (finalement publié en 2000) qui est, selon son éditeur, un savant mélange de « la mythologie judaïque avec les turpitudes de la sexualité d’aujourd’hui ».
Malgré les nombreux rejets dus aux thèmes jugés trop sombres qu’aborde Handler, ce dernier ne se décourage pas et s’obstine sur cette voie. C’est alors que son éditeur, percevant un certain potentiel dans son style d’écriture, lui propose de se mettre à la littérature jeunesse.
Au début, Handler refuse, affirmant qu’il a toujours trouvé ce genre de livres sans saveur et sans aucun intérêt. De fil en aiguille, il en vient alors à écrire un genre hybride, un anti-conte de fée, allant à l’encontre de ce qu’il se faisait dans la littérature jeunesse : une jolie petite histoire avec une fin heureuse. Là, les protagonistes sont des enfants malchanceux et qui malgré leurs efforts, n’arrivent jamais à triompher complètement des “méchants” :
“Si vous aimez les histoires qui finissent bien, vous feriez beaucoup mieux de choisir un autre livre. Car non seulement celui-ci finit mal, mais encore il commence mal, et tout y va mal d’un bout à l’autre, ou peu s’en faut.”
Ainsi commence le premier livre des Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, en 1999, chez Harper Collins (puis en France, en 2002, chez Nathan) avec le premier tome : Tout commence mal… (The Bad Beginning). Il sera suivi de douze autres tomes, dont le dernier paraitra en 2006.
Humour noir, cynisme et jeux de mots rythment les folles aventures des orphelins, Violette, Klaus et Prunille qui ne cesseront d’affronter le terrible comte Olaf. Antagoniste de la série, véritable archétype de l’ogre, il sera un adversaire redoutable, à la fois machiavélique et cruel, et ne reculera devant rien pour s’accaparer la fortune des Baudelaire. Usant de tous les moyens possibles, du chantage crapuleux aux plus odieux meurtres, il semble inarrêtable et aucun dénouement heureux ne parait possible. Le narrateur lui-même ne cessera de répéter au lecteur d’abandonner la lecture de ce récit trop horrible et qui ne va cesser de s’envenimer.
À première vue, on pourrait penser qu’il ne s’agit pas de livres pour enfants. Mais les thèmes de la surveillance continuelle symbolisée par les yeux omniprésents dans les treize tomes, ainsi que le manque de fiabilité des adultes, sont des récurrences de la littérature jeunesse de cette génération. Et le but des enfants Baudelaire — la recherche d’une nouvelle maison après avoir perdu le logis parental — présente un aspect d’initiation propre au genre.
De plus, le style d’écriture utilisé va à l’encontre de la littérature pour adulte. La langue est dès plus simples et si le vocabulaire ou le registre devient trop soutenu pour un jeune lecteur, le narrateur se met à définir les termes complexes qu’il emploie et les illustre avec des exemples :
“Connaissez-vous la différence entre « littéralement » et « au sens figuré » ? […] Lorsqu’une chose a lieu littéralement (on dit aussi « au sens propre »), elle a lieu pour de bon ; si elle a lieu au sens figuré, elle donne l’impression d’avoir lieu.
Par exemple, lorsqu’on saute de joie littéralement, on fait bel et bien des bonds sur place ; lorsqu’on saute de joie au sens figuré, cela signifie qu’on est si heureux qu’on pourrait sauter de joie, mais qu’on économise son énergie pour un meilleur usage.”
Lemony Snicket – Tout commence mal…
Cet extrait nous montre la face pédagogique de l’œuvre de Handler. On pourrait aussi y ajouter les nombreuses références à la culture générale et à la littérature. Rien que les noms des personnages. Baudelaire fait évidemment référence au poète français ; Handler a d’ailleurs lu Les Fleurs du mal étant jeune. M. Poe, personnage récurrent, est un clin d’œil à Edgar Allan Poe, auteur américain dont Baudelaire a traduit les œuvres. Quant aux protagonistes, Violette serait un clin d’œil aux violettes tremblantes et aux bonbons à la violette, deux classiques de la littérature victorienne. Quant à Klaus et Sunny (Prunille en français), ils font tous deux références à Klaus et Sunny Von Bulow, cas judiciaire assez macabre de la fin du XXème siècle.
Tous les tomes des Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire pullulent de ce genre de références, notamment à la littérature jeunesse comme le personnage de Montgomery dans le Tome II qui fait écho à l’auteur de Anne des pignons verts (1908) de Lucy Maud Montgomery.
Les Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire fut également l’occasion pour Handler d’exploiter un personnage méta-fictif : l’auteur/narrateur Lemony Snicket. Véritable double de Daniel Handler, il se révèlera aussi un personnage à part entière des romans. On apprend qu’il est en effet lié à la société secrète VDC (VFD dans la version original), communauté dont on fait partis plusieurs de personnages de l’histoire. Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire vont alors être enrichies par ce mystère qui tourne autour de cette société. Lemony Snicket ne cessera jusqu’au dernier livre de maintenir un suspens haletant, affirmant qu’il a pour pénible mission de raconter les péripéties des orphelins Baudelaire. On notera que chacun des tomes se termine par une lettre de Snicket à son éditeur attentionné où il annonce la suite des évènements que l’on retrouvera dans le prochain tome. Procédé ingénieux qui pousse le lecteur a continué de lire (ou pas) les fameuses aventures des Baudelaire.
Je vais terminer avec quelques faits étonnant sur Lemony Snicket. Déjà, il existe un site officiel sur ce personnage : lemonysnicket.com et il a également un mail où l’on peut le joindre : lsnicket@harpercollins.com. Il est d’ailleurs dit qu’il ne peut pas se montrer en public à cause d’une conspiration contre lui. De ce fait, c’est Daniel Handler qui ferait toutes ses démarches en public, comme les dédicaces. Il a même été rapporté qu’à plusieurs de ces séances, Handler joue le jeu en affirmant que tous les faits racontés par Snicket sont vrais.